Champs- Elysées. Par une froide matinée de décembre. J'attends.
Les médias, me dis-je, ont comparé les funérailles de Johnny à celles de Victor Hugo. Il doit y avoir de cela, ne serait-ce que par la foule ici rassemblée. Un écrivain populaire – à une époque pourtant où beaucoup ne savaient ni lire, ni écrire – qui donnait du rêve aux gens. Un chanteur populaire qui, lui aussi, et il le disait clairement, se voulait un semeur de rêves dans le c½ur de ses fans.
J'attends donc. J'ai lu que le cercueil était blanc, comme le fut celui d'Elvis Presley, modèle de Johnny à ses débuts à tout le moins.
Sept cent motards, en Harley Davidson pour la plupart, escortent Johnny. Le bruit des moteurs emplit toute l'avenue. Johnny aimait ces moteurs à deux cylindres en V culbutés à 45° qui donnent cette sonorité inégalée et reconnaissable entre toutes, quel que soit le modèle.
Des journalistes, des caméras ont pris leurs quartiers, ici et là, dans la foule. Une foule dense, compacte. On chante, spontanément. On bat des mains. Echarpes, bonnets, vestes à l'effigie de Johnny. Des écriteaux : merci Johnny. On t'aime Johnny. On scande aussi, comme on le faisait avant son entrée sur scène, on scande son nom. Des centaines de milliers de personnes à le faire. C'est comme une rumeur venue d'ailleurs qui s'est abattue, ce matin, sur Paris. Une rumeur qui se déplace, progresse. Elle a pris naissance à l'Arc de Triomphe et à la suivre, on sait où se trouve en ce moment le cortège funèbre.
J'ai suivi Johnny depuis ses débuts. Je n'avais alors que douze ans.
Laisse les filles, tu as bien l'temps d'avoir des milliers d'embêtements. Une des toute premières. Un vinyle 45 tours. Je croyais y entendre ma propre mère me faire la leçon et de m'en moquer finalement. J'ai toujours ce vinyle. Sur la pochette, Johnny, tout de noir vêtu, à genoux, sa guitare à la main. Je n'ai jamais laissé les filles. Ai-je eu ces milliers d'embêtements ? Oui, parfois... Nos amours sont toujours pleines d'embûches. De déchirures. Tiens, d'Ormesson, mort lui aussi il y a quelques jours, prétendait que l'amour heureux, c'était la fin de l'amour.
Tant qu'à parler d'amour. Il y a ce Retiens la nuit qui me trotte par la tête. Arrête le temps et les heures. Mais on n'arrête ni le temps, ni les heures. Et la nuit fait place au jour. Que reste-t-il aujourd'hui, un demi-siècle plus tard, de cette première nuit, de ces corps emmêlés pour la première fois ? Rien, même pas les fragrances de l'amour et les draps ont été mille fois lavés à la lessiveuse de l'oubli. La mort même s'en est mêlée.
Ça n'finira jamais. Comme on y a cru, comme on y croit encore ! Une supercherie, une arnaque du c½ur. Car tout finit par finir même si, comme tu le prétends, Johnny, on refera la route. Quelle route ? Celle qui est dans notre dos l'est à jamais. Elle est parsemée de joies, de petits bonheurs, certes, mais aussi de douleurs et de morts. La seule route possible, c'est celle qui va à demain. Celle qui d'ailleurs t'emmène à quelque terre lointaine, en passant par ce boulevard.
Et voilà que passe sous mon regard d'Hugo le cercueil blanc. De la foule, des dizaines de roses sont lancées. L'un ou l'autre bouquet s'accrochent au capot du corbillard, la plupart finissent leur vie de fleurs sous les roues.
Et tant qu'on pleure, tant qu'on en meurt, rester vivant, rester vivant...
Ou comme le disait Victor Hugo : Qu'est-ce que la mort à tout prendre ? Un mauvais moment, un péage, le passage de peu de chose à rien.
Peu de chose, vraiment ? Peu de chose, ces 110 millions de disques vendus ? Ces cinquante albums vendus ? Ces dix-huit disques de platine ? Ces neuf Victoires de la Musique ? Et surtout, surtout, ces 29 millions de personnes – dont moi plusieurs fois- à avoir vu Johnny sur scène ?
A rien ? Qui sait ? Cette croix qu'il portait lors de ses concerts et que porte aujourd'hui Laetitia pour l'office religieux, que peut-elle me dire ? Est-elle le gage que la mort n'est pas la fin ultime de notre histoire ? Est-ce cette foi qu'affichait Johnny quand il chantait, dans L'amour à mort :
Qui veut croire en demain sait lire dans les nuages.
On n'a plus peur des mots, plus peur du grand voyage
Et je cours, et je cours et je cours après l'amour.
Et loin de toutes ces considérations philosophiques, soudain, je me demande, prosaïquement, de quel costume de scène a-t-on habillé Johnny pour cet ultime concert....
(Photo AFP)